BANGUI, 13 avr (AFP) - Soupçonnées d'être responsables de décès "suspects", une trentaine de personnes présentées comme des "sorciers" ont été lynchées depuis le début de l'année en Centrafrique, où les familles des défunts croient plus en la sorcellerie qu'en la justice des hommes.
Dans des quartiers populaires de Bangui ou des villages isolés de brousse, certains Centrafricains éprouvés par la mort d'un proche n'hésitent pas à tuer sans autre forme de procès le "sorcier" qu'ils pensent avoir démasqué.
La police centrafricaine, qui arrive souvent trop tard pour sauver les présumés "sorciers", a recensé dans le pays plusieurs centaines de victimes de cette vindicte populaire entre 1997 et 2001, dont une trentaine rien que dans les premiers mois de l'année en cours.
Le quotidien centrafricain Le Citoyen, qui évoque cette "montée en puissance de la justice populaire" dans deux récentes éditions, relate plusieurs cas de lynchage à Bangui même.
Ces meurtres touchent souvent des personnes âgées, explique le journal qui cite le cas de Marie, une vieille dame du quartier "Bruxelles" massacrée mardi par des habitants qui l'accusaient d'avoir "envoûté" un jeune homme.
"Marie est battue à coups de barre de fer, de hache, de coupe-coupe, et elle rend l'âme sous les décombres" de sa maison, ajoute le journal.
Parfois, le sorcier est un membre de la famille du mort, ce qui n'empêche pas cette dernière de rendre elle-même sa "justice", comme cette habitante de Bangui de 60 ans, "rouée de coups" par ses neveux et nièces qui "avaient constaté de multiples cas de morts dans leur lignée", assure le quotidien.
"Malgré l'existence de juridictions compétentes, la justice populaire prend de plus en plus une proportion inquiétante en République centrafricaine", déplore Le Citoyen, qui se refuse toutefois à nier la véracité des actes de sorcellerie.
Dans ce pays d'Afrique centrale, où les croyances ancestrales restent encore vivaces, il est en effet considéré comme dangereux de mettre en doute publiquement l'existence des sorts, envoûtements, "gris-gris" et autres pratiques occultes.
Il ne se passe non plus une semaine sans que la presse locale ne rapporte des affaires de "Likoundou" ("sorcier" en sango, la langue nationale), quand ce ne sont pas les "Ouroukouzou", ces sorciers de l'est de la Centrafrique qui envoûtent et tuent de paisibles villageois pour dompter leurs fantômes réduits à l'état d'esclavage ou métamorphosés en bétail.
Dans ce contexte, l'apparence douteuse d'un vieillard aux "yeux rouges", les "pratiques nocturnes" d'un habitant du quartier ou son absence aux veillées funèbres des voisins trahissent à coup sûr le "sorcier", expliquent des Banguissois, dont la plupart sont persuadés que derrière toute mort se cache un maléfice.
Mu par la soif du mal ou la jalousie, le sorcier mérite toujours la mort, estiment les proches des "victimes" qui vont parfois jusqu'à le brûler vif ou l'enterrer vivant.
Les bourreaux n'ont guère confiance en la justice de leur pays, d'autant plus que cette dernière, non seulement n'applique plus la peine capitale, mais défend aussi la présomption d'innocence.
"La population ne comprend pas l'exigence de la loi", souligne un magistrat du tribunal de grande instance de Bangui qui, fort de son expérience professionnelle, se dit pourtant convaincu de l'existence de la sorcellerie.
"Parfois, il nous est difficile de prouver les faits. Mais des circonstances précises peuvent aussi démontrer sans ambages la culpabilité d'un individu", ajoute le magistrat qui préfère garder l'anonymat.
"La justice ne fait rien", s'exclame de son côté Benoît, un père de famille persuadé que son jeune fils est en train de mourir parce qu'un sorcier l'a envoûté.
"On va l'arrêter aujourd'hui et demain il sera libre", affirme-t-il, ajoutant d'un air déterminé et sans appel: "la solution, c'est de le tuer".