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LE MOTHMAN
la catastrophe du Silver Bridge, à Point Pleasant,en 1967.Ce pont
suspendu de 250 mètres de long qui reliait l'Ohio à la VIrginie occidentale s'est en
effet écroulé le 15 décembre de cette année. "Fatigue structurelle", comme
l'ont déclaré les experts? Au moment du drame, le pont était encombré de véhicules
bloqués dans un embouteillage consécutif aux achats de Noël. Une quarantaine de
personnes trouvèrent la mort dans le drame. La nouvelle bouleversa l'Amérique. Parmis
les victimes, plusieurs avaient déclaré, au cours des mois précédents, avoir observé
des ovnis dans la région. Des ovnis, mais aussi une étrange créature baptisée Mothman,
l'homme-phalène.
LA GRANDE DÉFERLANTE
Plantons le décor. 1966 : une vague d'apparitions de soucoupes volantes déferle sur la
Virginie occidentale. À la même époque, le territoire des États-Unis dans son ensemble
est soumis à une recrudescence d'observations d'ovnis. Le sujet nourrit des controverses
intenses.
Le milieu des années soixante est une période charnière dans l'histoire des Objets
Volants Non
Identifiés. Le phénomène s'est installé dans les consciences quelque vingt ans plus
tôt, au cours de l'été 1947. Depuis le début des années cinquante, des groupes
d'amateurs s'intéressent de près au phénomène et contestent les explications
officielles fournies par l'Air Force, dont le Project Blue Book, basé à Wright
Patterson, près de Dayton, Ohio, qui est tout spécialement chargé d'enquêter sur les
ovnis.
1966 marque donc le retour en force du phénomène. Les soucoupes multiplient leurs
apparitions dans le ciel. L'Air Force a beau dire et répéter que les observations
résultent de méprises avec des ballons sonde, la planète Vénus, des météores, etc,
rien n'y fait. À l'automne 1965, quelques témoignages spectaculaires bouleversent la
région d'Exeter. Au début de l'année 1966, une formidable vague d'apparitions submerge
le Michigan et la région des grands lacs. Désemparée, pressée par les relations
publiques du Secrétariat à la Défense, l'Air Force envoie son expert sur les lieux,
l'astronome J. Allen Hynek. Au cours d'une conférence de presse mémorable, il déchaîne
contre lui les caricaturistes des journaux nationaux en expliquant que certaines
observations sont sans doute dues à des feux follets (les fameux "gaz des marais].
Un magazine publie un dessin montrant un petit Martien pointant son pistolaser sur un
quidam en lui enjoignant de l'amener à "cet astronome qui m'a traité de gaz des
marais". Gerald Ford, futur président des Etats-Unis, et qui est alors gouverneur du
Michigan, exige que le Congrès diligente une enquête.Pendant ce temps, comme pour
narguer Hynek,les feux follets, les ballons sondes et la planète Vénus redoublent
d'activite. Les apparitions se multiplient, accompagnées d'autant de témoignages
décrivant des Soucoupes volantes en bonne et due forme, avec rivets, boulons, hublots,
antennes et feux multicolores. Dans les librairies, les tirages des livres sur le sujet
s'arrachent. Débordée, l'Air Force se débarrasse de cette enquête encombrante au
profit de l'Université du Colorado, laquelle charge le physicien Edward U. Condon,
naguère directeur du National Bureau of Standards, d'apporter un point définitif à
cette affaire. Les ovnis sont-ils un sujet digne d'intérêt pour la science?
voilà ce que devra définir une bonne fois pour toutes Condon. De son côté, fatigué
des basses besognes de relations publiques pour l'armée qu'on lui inflige, Hynek déballe
un impressionnant plaidoyer en faveur des ovnis dans le Saturday Evening Post. Pas de
doute, une tempête interplanétaire souffle sur les États-Unis.
DRÔLE D'OISEAU...
Autour de Point Pleasant, les cieux se remplissent de lumières qui ne se comportent pas
comme des avions ou des météores classiques. Parfois des objets luminescents se posent
dans les champs ou sur les routes devant des automobilistes ébahis. Et c'est alors
qu'intervient un autre phénomène, beaucoup plus troublant. Les habitants commencent à
rapporter avoir aperçu une étrange créature, sorte d'"oiseau" qui tient plus
du ptérodactyle que de la perruche d'appartement.
L'histoire débute dans le Mississipi. Le 1er septembre 1966, à Scott, James Ikart
téléphone au journal local en expliquant qu'il est en train d'observer une créature à
forme humaine traversant le ciel. Les reporters se précipitent sur les lieux mais, quand
ils arrivent, la créature a disparu. D'autres témoins confirment pourtant les propos de
Ikart. Ce qui n'empêche pas un météorologiste interrogé par la presse d'affirmer sans
rire que les observateurs ont vu... un ballon-sonde. Vieille rengaine. Le 15 septembre, un
deuxième "ballon-sonde" à forme humaine est aperçu. Et plus rien, ni dans les
faits, ni dans la presse.
Sur ces entrefaites, un journaliste de New York, John Keel, apprend par James Moseley, le
rédacteur du bulletin soucoupiste Saucer News, que des événements étranges se
déroulent à Point Pleasant. Keel a alors 36 ans et une carrière de journaliste et
d'écrivain derrière lui. Il s'intéresse au paranormal depuis son enfance, a produit un
fanzine de science-fiction lorsqu'il était adolescent et, après avoir travaillé au
début des années cinquante pour la radio des forces armées des États-Unis, il a
bourlingué à travers l'Orient, sur les traces des mystères de l'Égypte et du TIbet. En
1957, il en a tiré un livre intitulé "Jadoo". En 1965, la presse se passionne
pour les envahissantes soucoupes,la poule aux oeufs d'or du moment - et Keel reçoit de
Playboy la mission d'écrire l'article définitif sur le sujet. Il se fait alors
connaître des fans d'ovnis et se rend sur les lieux d'observations. Quatre ans durant,
Keel va enquêter.
Lorsqu'il débarque dans la petite ville de Virginie occidentale, Keel découvre que la
presse locale n'a rapporté aucun événement étrange. Quant à la police, elle n'est au
courant de rien. Apparemment du moins. Car, en discutant avec Mary Hyre, la correspondante
locale de l'Associated Press et du Messenger d'Athens dans l'Ohio, un journal très lu à
Point Pleasant, il déniche de nombreux témoins d'ovnis ayant décidé de garder le
silence. Alors, les cas d'observation d'ovnis s'accumulent dans sa besace: mis en
confiance par la présence de Mary Hyre, les témoins livrent sans plus de réticences
leurs expériences. La région semble effectivement soumise à un survol soutenu d'ovnis
en goguette. Mais ce n'est pas tout. Deux couples de Point Pleasant relatent la façon
dont ils se sont retrouvés nez à nez avec une créature incroyable, dans une zone
industrielle hors de la ville. Un couple d'adolescents décrit sa frayeur en se voyant
assaillis par une créature ailée tandis qu'ils batifolaient à l'arrière de leur
voiture.
Certains témoignages décrivent la "chose" comme un être de 2,50 mètres de
haut, possédant deux yeux rouges hypnotiques brillant à l'endroit de la tête sans que
celle-ci soit visible. Surtout, la créature est équipée d'une paire d'ailes
gigantesques, évoquant celles d'une chauve-souris, et qu'elle déploie pour s'envoler
sous le nez des témoins. La presse baptise rapidement cette créature Mothman, du nom
d'un des personnages de la série télévisée alors très populaire : "Batman".
Mothman signifie "homme-phalène" - du nom d'un papillon de nuit...
INQUIÉTANTES VISITES
Au départ, Keel pense être sur la piste d'un oiseau de grande taille. Dans le meilleur
des cas, l'affaire concernerait la cryptozoologie, étude des animaux énigmatiques
[kryptos = caché, en grec] comme le monstre du Loch Ness ou le Yéti. Mais il découvre
rapidement que les observations de la créature ailée coïncident avec celles d'ovnis
classiques. Et les témoins des apparitions de la créature présentent des yeux rouges et
gonflés, comme cela a été constaté à la suite d'observations d'ovnis, d'après les
enquêtes de Keel. L'énigme concerne donc bien l'ufologie.
Pourtant, ce qui se passe à Point Pleasant ne ressemble pas aux autres affaires d'ovnis,
à Exeter ou dans le Michigan. Là-bas, la vie des gens est certes bouleversée par
l'observation de phénomènes sur lesquels ils sont incapables de mettre un nom, et par
l'attitude des autorités qui refusent d'assumer les événements. Mais les problèmes
s'arrêtent là. À Point Pleasant, en revanche, Keel a conscience qu'il est très
difficile de situer la frontière entre le ciel et la Terre, entre les phénomènes et les
témoins. En d'autres termes, si le ciel est hanté, les humains eux-mêmes semblent subir
de bizarres pressions. Car le Mothman n'est pas le seul phénomène à se manifester.
À Point Pleasant, on commence à noter les aller et venues de mystérieuses Cadillacs
noires conduites par des personnages vêtus de costumes noirs. Les témoins racontent à
Keel avoir reçu la visite" d'agents de recensement", "d'inspecteurs du
téléphone" et autres employés de l'administration au comportement et à l'allure
inhabituels. Mary Hyre, la journaliste du Messenger, voit débarquer dans son bureau
d'étranges personnages qui lui demandent comment elle réagirait si on lui demandait de
ne pas publier les rapports qu'elle a recueillis. Ces individus sont "décalés"
: leurs vêtements et leur voiture sont flambant neuf mais totalement démodés. Et leur
visage, aux traits orientaux, est anormalement bronzé. Rappelons que nous sommes en 1966,
et que les habitants de Point Pleasant n'ont donc pas vu Men in Black au cinéma. Et,
comme si cela ne suffisait pas, les témoins commencent à recevoir de mystérieux coups
de téléphones. À l'autre bout du fil, une voix leur débite d'incompréhensibles
messages à toute vitesse, comme un disque passé en accéléré. Parfois, la
communication se limite à une série de bip, ou à des bruits électroniques sans
signification. Mais à certains moments les appels semblent provenir de personnes connues.
Ainsi John Keel se retrouve t-il accusé d'avoir appelé un témoin pour lui donner
rendez-vous, tandis que lui-même reçoit les appels d'un soucoupiste qui prétend lui
donner des nouvelles de son épouse alors qu'il n'est pas marié. Bref, à Point Pleasant,
le paranormal sonne aux portes, roule en Cadillac et il est abonné aux télécome.
INDRID COLD, DE LA GALAXIE GANYMÈDE
Poursuivant son enquête, Keel s'aperçoit qu'il existe une seconde catégorie de
témoins. Il va appeler" contactés silencieux" ces individus qui ont eu des
expériences peu banales avec des
soucoupes volantes et leurs "occupants", mais ont choisi de se taire. Pas tous,
cependant. Notamment un certain Woodrow Derenberger. Ce dernier déclare avoir rencontré
un extraterrestre nommé Indrid Cold, être quasiment semblable à un humain, bien que
présentant un visage extrêmement bronzé. Derenberger, chauffeur de sa profession,
rentre de son travaille le soir du 2 novembre 1966 lorsqu'il est dépassé par un objet
étrange. L'objet, en forme de tube de vieille lampe à pétrole, se gare sur le bord de
la route; en sort un homme souriant, les mains coincées sous ses aisselles. Il s'approche
de Derenberger et le témoin sent avec stupeur des mots compréhensibles s'infiltrer dans
sa tête. "Mon nom est Cold, Indrid Cold. Je dors, je respire, je saigne tout comme
vous".
Derenberger va revoir son contact d'outre espace.Il affirme avoir voyagé jusqu'à une
planète, Lanulos, située dans la galaxie de Ganymède (qui n'est pas une galaxie, mais
un satellite de Jupiter et, de l'avis des astronomes, piètre candidat pour une forme de
vie extraterrestre). Derenberger commence à faire parler de lui: il participe à des
émissions de radio et reçoit la visite de passionnés d'ovnis. Un soir, au cours d'un
débat chez Long John Nebel, sorte d'équivalent américain de Jacques Pradel, un auditeur
téléphone pour raconter avoir lui aussi visité le même monde extraterrestre que celui
décrit par Derenberger. John Keel se retrouve alors plongé dans l'univers des
"contactés" et tente de donner un sens aux messages qu'ils reçoivent. Indrid
Cold et ses semblables livrent des informations sur des évènements à venir. Certaines
se révèlent exactes, constate Keel. D'autres sont fausses ou intégrées dans le temps
de manière fantaisiste: par exemple, un drame prévu pour se produire à tel moment va
arriver, mais pas à la date prévue. Keel commence aussi à recueillir des récits de
cauchemars: certains habitants de Point Pleasant rêvent d'une catastrophe liée au fleuve
Ohio. Mary Hyre se voit dans l'eau, nageant au milieu de paquets cadeaux. Keel prend les
choses très au sérieux et s'attend à une catastrophe d'ampleur nationale pour le 15
décembre.
Mais il fait fausse route et, après avoir cru que le problème concernerait l'usine
chimique implantée sur les rives du fleuve, il imagine que la nation va être plongée
dans l'obscurité au moment de l'illumination du sapin de Noël de la Maison Blanche.
Lorsqu'il apprend l'écroulement du Silver Bridge, il comprend enfin la réelle
signification du rêve de Mary Hyre. Seulement il est trop tard.
LES INDÉCISES FRONTIÈRES DE LA RÉALITÉ
Que penser des événements de Point Pleasant ? Cette région de Virginie occidentale
a-t-elle véritablement été envahie par les soucoupes, par l'homme-phalène et les MIB
?Il est bien difficile de répondre de manière univoque à une telle question...
Peut-être faudrait-il plutôt se demander dans un premier temps si, à la place des
témoins et de Keel, nous aurions vu les mêmes choses? John Keel situe le problème à ce
niveau. Son livre témoignage, "The Mothman Propheties", paru en 1975 (et dans
lequel il se met en scène comme s'il était lui-même un personnage de fiction) s'ouvre
sur un épisode qui fixe l'enjeu.
Par une nuit orageuse, le narrateur tombe en panne sur une petite route de Virginie
Occidentale et part chercher de l'aide dans une ferme repérée un peu plus loin.Il
traverse un champ boueux avec ses chaussures de ville, son costume noir et sa petite
barbichette. Là, il est accueilli plutôt fraîchement par un habitant qui croit voir le
diable apparaître sur son perron. Keel note que cette histoire colportée de bouche à
oreille risque de se retrouver un jour dans un recueil de contes folkloriques sur la
Virginie occidentale.
Mais, s'il accumule ces tranches de vie locale aux frontières du fantastique, c'est aussi
pour établir qu'au-delà de l'interprétation de chacun, il y a des événements et un
contexte contraignant à choisir certaines interprétations plutôt que d'autres. Si les
gens ont tendance à fantasmer, c'est qu'ils sont pris au départ dans un tourbillon
événementiel qui les dépasse. Disciple insoupçonné d'Erwin Goffman, le sociologue
américain spécialiste des interactions sociales, Keel décrit ces témoins comme autant
de stigmatisés ou d'outsiders pour employer le terme en usage chez Howard Becker, autre
sociologue américain de l'école interactionniste de Chicago. Les témoins portent leur
expérience ovni comme une marque indélébile, un stigmate douloureux.IIs ne souhaitent
pas en parler mais ne peuvent ignorer ou oublier ce qui leur est arrivé. Réduire leur
expérience à un fantasme ne résout rien : même un "simple" cauchemar peut
marquer votre existence jusqu'à vous rendre la vie impossible. Et les cauchemars n'ont
pas toujours été attribués à des mécanismes complexes relevant de l'histoire
personnelle et de la chimie du cerveau. TI fut un temps où ils étaient interprétés
comme les signes d'une surréalité (et ils le sont encore hors des instituts de
psychologie).
l'INVASION DE l'IMPOSSIBLE
Le récit de Keel montre comment l'existence de Monsieur Tout le Monde peut être envahie
par des événements impossibles à expliquer de façon rationnelle. Quand c'est le cas,
on se retrouve obligé d'inclure dans notre représentation du réel des êtres qui ne lui
appartiennent pas. Le phénomène n'est pas nouveau et a été très bien décrit, pour ce
qui est de la sorcellerie des campagnes françaises, par l'ethnologue Jeanne-Favret Saada.
Face à l'accumulation d'événements dramatiques, les personnes qui en sont les victimes
sont contraintes d'avoir recours à d'autres schémas, notamment la figure de
l'ensorceleur, la plupart du temps un voisin dont on décode le comportement curieux:
"TI ne regarde pas dans les yeux, il a caressé les bêtes d'un geste étrange, il
vous a jeté un sort", etc. Mais, à Point Pleasant, les choses sont plus complexes:
alors qu'on peut contester le statut de sorcier du voisin mis en cause par un
"ensorcelé", les observations des témoins du cas Mothman précèdent leur
réinterprétation de la réalité fantastique à laquelle ils sont confrontés, au lieu
de la suivre comme dans les affaires de sorcellerie. Bien sûr, on interprète ce qu'on
voit, qu'il s'agisse d'un Mothenan, d'un MIB ou d'un voisin sorcier. Un fait reste patent,
qui pourrait aider à notre approche des mystères: parfois, il n'existe qu'un unique
témoin à une déformation de la réalité; concernant d'autres faits, ils sont
plusieurs. On peut alors affirmer que le paranormal commence quand plusieurs témoins
décrivent un même phénomène "impossible".
Mais, curieusement, pour les spécialistes, ce n'est pas le critère le plus important. En
effet, pendant des décennies, des témoins ont rapporté des phénomènes sans que
personne ne s'y intéresse. Et pas uniquement les scientifiques,souvent accusés de
récuser les faits sans analyse. Longtemps, la plupart des ufologues ont refusé de
prendre au sérieux les récits d'atterrissages pour ne s'intéresser qu'aux seuls
témoignages de soucoupes en vol. Dans les années soixante, les enquêteurs rejetèrent
tout ce qui avait trait aux enlèvements ("abductions"). Aujourd'hui encore, les
ufologues refusent de considérer que les expériences quelque peu inclassables - comme le
cas Mothman - relèvent de leur compétence.
GAÏA, MÈRE NOURRICIÈRE DU MOTHMAN
Outre le caractère récurrent, la crédibilité est un critère d'analyse important.
L'expérience doit être crédible par rapport à certains modèles culturels. Or le
Mothman ne colle guère avec le modèle extraterrestre.Il ne correspond pas non plus aux
théories des cryotozoologues. Le monstre du Loch Ness évoque un plésiosaure, le y éti
un homme de Neandertal, mais de quel être disparu le Mothman peut-il être rapproché?
Certains phénomènes ne trouvent ainsi pas plus leur place dans les théories
scientifiques normales que dans les études paranormales. Le dernier recours pour les
êtres fantastiques inclassables pourrait alors être Charles Fort, célèbre
collectionneur d'événements extraordinaires, auteur du "Livre des damnés",
qui se moquait de la science et supposait que des esprits malins faisaient pleuvoir des
grenouilles sur nos têtes.
Keel est "fortéen", contrairement aux ufologues ou aux cryptozoologues soucieux
d'être intégrés à la science. Car il doute que les ovnis et le Mothman soient
d'origine extraterrestre. Pour lui, ces phénomènes ne s'intègrent pas à des faits
scientifiques objectifs. TI s'intéresse moins à la taille et la couleur des ovnis qu'à
leur effet sur les témoins. Il établit le rapprochement avec d'autres événements plus
anciens et pense que les ovnis sont la manifestation contemporaine de quelque chose
d'ancien, un phénomène terrestre naturel. Les ovnis ne sont ni des vaisseaux ni des
manipulations de notre psychisme par une intelligence extraterrestre. Il s'agit bien d'une
intelligence manipulatrice, mais elle est d'ici. Dans "The Eighth Tower",
ouvrage sorti la même année que "The Mothman Prophecies", John Keell la
rapproche de l'inconscient collectif du psychiatre suisse Jung et de la notion d'archives
akhashiques popularisée par l'ésotériste René Guénon. Flagrant délit d'occultisme,
alors? Pas si sûr... Keel fait référence à l'hypothèse Gaïa du scientifique
britannique James Lovelock, selon laquelle la biosphère forme un organisme géant. Keel
ne refuse pas les extraterrestres pour verser dans l'occulte mais pour donner plus de
légitimité scientifique à sa théorie . Les vieilles théories occultistes (ou celle de
Jung) étaient correctes mais Lovelock, dit-il "Ieur apporte la légitimité"
qui leur faisait défaut. Keel apparaît donc comme un des premiers "écologiste des
profondeurs" : la Terre porte un virus sur son dos, et ce virus c'est l'humanité. Le
Mothman de Point Pleasant est le résultat de l'interaction entre le psychisme de la
planète et le nôtre. Totalement subjectif, il est néanmoins irréductible à notre
subjectivité.
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